« Le social, le parent pauvre de la finance responsable »
Quelle réponse de la Finance sur les thématiques des questions sociales de la pauvreté et des droits humains ?
Celle-ci intègre-t-elle aujourd’hui réellement le facteur « S » ? N’était-ce pas la raison d’être de son émergence lors de la création au 19 ème siècle du Secours Mutuel, ou de son histoire jusqu’à la création des banques éthiques telles la Banque Triodos ou la Nef ?
La transition solidaire et énergétique ainsi que la question de la justice sociale, la montée des inégalités et de l’exclusion, ont incité le FIR à redéfinir les questions de Pauvreté et des Droits Humains.
Un groupe de travail d’une dizaine de membres du FIR, préalable à la crise Covid-19 et coordonné par Pascale Thumerel et Grégoire Émile durant une année, a produit un cahier « Pauvreté et Droits Humains » qui paraitra à la fin de l’année.
Celui-ci proposera :
Pascale Thumerel souligne que « la lutte contre la pauvreté est au cœur du Développement Durable de notre société » et que les entreprises et investisseurs ont de par ce fait un rôle stratégique à jouer sur ce sujet. Il s’agit d’appréhender la pauvreté et ses dimensions par les risques et de se représenter leur matérialité afin de « ne laisser personne de côté », tel que l’a rappelé par Antonio Guterres, Secrétaire Général de l’ONU lors du 75 ème anniversaire des Nations Unis.
Lors de ce rendez-vous du FIR, les intervenants ont pointé la non-soutenabilité du modèle actuel, mais ont également été force de propositions pour redonner au Facteur social sa juste place au sein de la Finance.
L’état ne peut pas tout.
Et la finance, par son pouvoir immense et celui qu’elle donne à chacun de par ses choix, se peut responsable, contributive, en mesure d’infléchir les écarts toujours plus grands des inégalités.
La vision de la « Transition juste » de Laurent Berger – CFDT est celle d’une transformation d’un modèle tant environnemental que social, qui nécessite d’autres indicateurs que ceux de la croissance et du PIB, et qui ont pour objectif la lutte contre les inégalités.
Ces indicateurs européens, inscrits dans les politiques publiques pourraient être déclinés au niveau de la société (niveau de pauvreté du pays, accès à l’éducation, répartition de chacun participation à effort collectif, fiscalité…), ainsi qu’au niveau de l’Entreprise : écarts de rémunération, salariés sur ensemble de la chaine de valeur, gouvernance et fiscalité.
Ainsi, dans le cadre du Plan de Relance et des aides versées aux entreprises, il insiste sur la nécessité d’engagements, pour chaque secteur et entreprise, de l’utilisation des montants attribués. Le rôle de la finance est clé selon lui dans les arbitrages qui peuvent se faire à la lecture de 3 questions :
Ces questions rejoignent Madame Duflot – Oxfam – sur la conditionnalité des aides publiques et la nécessité d’une régulation plus intense. Elle partage également avec Monsieur Berger la nécessaire pertinence des indicateurs et la transparence.
Les débats de notre choix de société et du partage de la création de valeur sont essentiels, dit-elle, rappelant le lien très fort qui existe entre les inégalités et le dérèglement climatique : les principaux émetteurs les 10 % les plus riches créent 52 % de GES cumulés. Outre la déstabilisation potentielle de nos sociétés (« injuste »), les risques sont là pour nos investisseurs (les crises socio-économiques à bas bruits sont « potentiellement dangereuses »).
Enfin, Cécile Duflot évoque la nécessité d’inscrire le sujet de la réduction des inégalités dans une temporalité d’investissement de long terme, alors que la rentabilité s’inscrit dans une logique de court terme.
Le sujet des indicateurs, central, est lui aussi soutenu par Aurélie Baudhuin – Empreinte sociale – qui s’est inspirée de l’empreinte carbone pour le transposer sur les questions sociales. Elle insiste sur la nécessité de contextualiser les indicateurs d’impact en fonction des spécificités géographiques et sectorielles afin d’avoir une « empreinte sociale » construite sur des données de type Bilan Social évaluées au regard de données macro-économiques (Eurostat, OIT,…).Indicateur Meeschaerte.
A l’image du « CDP » qui a fait progresser les entreprises sur les données carbone, un groupe de travail dans le cadre du FIR est en train d’élaborer un « SDP », qui proposera une plateforme de données sociales, afin que chaque investisseur puisse y trouver les informations.
Aurélie Baudhuin évoque une autre parallèle avec l’environnement : celui du scope 3 Carbone avec un scope 3 Social, afin d’affiner l’exposition aux risques et identifier les opportunités de Social Business.
7 ans après le drame du Rana Plazza, l’impact social de la chaine d’approvisionnement est progressivement intégré. A titre d’exemple, 88% de l’impact ESG de l’industrie agroalimentaire est identifié chez les fournisseurs.
Pierre-René Lemas, lui, au travers de France Active qu’il préside, accorde des garanties de prêts auprès de la banque pour des porteurs de projets qui sont des gens très éloignées de l’emploi : chômage de longue durée, RSA, formation faible.
Son second métier est l’investissement dans le financement des projets ESS, investissement économie à impacts (sortent du seul cadre de l’ESS).
Dans le cadre de cet échange, il nous a fait part de la dichotomie qu’il observe actuellement : une augmentation des inégalités d’une part et des financements plus facilement mobilisables de l’autre.
Son « public » étant composé des personnes les plus éloignées de l’activité, de l’emploi, en situation de précarité, Monsieur Lemas souligne que les dispositifs mis en place ne répondent que partiellement aux besoins qu’il rencontre. L’absence ou le faible niveau de formation, réseaux, savoir-faire… nécessite en même temps un accompagnement qui puisse être financé par la puissance publique.
Il souligne par ailleurs la différence homme-femme et son constat des inégalités, voire de discrimination, dans le soutien des banques aux porteurs de projets à impact.
Rappelant que l’ESS n’est pas une économie caritative mais une économie qui essaie d’accompagner les personnes qui ont envie de s’engager pour eux-mêmes et les autres, il suggère de débloquer rapidement les dispositifs mis en œuvre par la loi Pacte qui propose à l’épargnant de financer un produit épargne solidaire, et ce, sans attendre 2022.
Selon lui, l’épargnant a aujourd’hui envie d’utiliser son épargne au service d’un produit ou d’un objectif qui fasse sens.
Pour réussir, il dit avoir besoin des partenaires bancaires, des partenaires investisseurs et de pouvoir s’appuyer sur un réseau territorial.
Selon Gabriel Zucman nous avons un besoin de renouvellement profond sur la façon dont la fiscalité peut aider à réguler les inégalités croissantes dans les décennies qui viennent. Il plaide pour une finance plus responsable, une justice sociale à travers l’impôt, qui permette de réconcilier justice fiscale et mondialisation.
Le début d’une prise de conscience intellectuelle et politique qu’il évoque semble se confirmer dans les propos de Jean-Jacques Barbéris – Amundi. Ce dernier confirme que, si les acteurs financiers n’intègrent pas pleinement la question des inégalités sociales et que la financiarisation économique depuis 30 ans est corrélée à augmentation des inégalités sociales dans l’ensemble des démocraties libérales, la question Sociale point.
La prise de conscience de l’impact du niveau des inégalités sociales sur la cohésion des sociétés se fait, et il s’agit dès lors d’un enjeu macro-économique évident.
Monsieur Barberis insiste également sur le besoin d’autres indicateurs macro-économiques, du type « Indice des inégalités sociales des pays de l’OCDE ».
En micro, dans les politiques d’investissement, il est nécessaire d’identifier ce qui peut être fait.
Jusque maintenant, la traduction du facteur social dans les politiques d’engagement des grands groupes se reportait à la question du salaire décent des salariés et des fournisseurs. Il s’agit désormais d’intégrer le facteur « S » dans les politiques d’investissement.
Cette année a vu la création d’un fond consacré à l’inégalité sociale dans lequel sont observés le taux facial de l’impôt par rapport au taux réel, ainsi que le positionnement de la note entreprise.
Le « Facteur S » a un impact sur les prix, dans valorisation des entreprises nous dit-il. Les portefeuilles longs et mieux notés du « S » génèrent de la performance. Il y a un effet de demande aujourd’hui, démarré il y a 2, 3 ans et qui est accéléré par la crise.
Monsieur Barberis nous suggère quelques questions pour sélectionner les entreprises :
– participent-elles à la réduction des inégalités sociales dans le pays où elles opèrent ? (Cf. note pays et note entreprise)
– ces entreprises essayent-elles de faire mieux par rapport à la géographie de leurs opérations …voire au territoire d’origine ?
– quelle participation des salariés à profitabilité de l’entreprise ? (Participation et intéressement ? Participation salariée à la gouvernance de l’entreprise ?)
Il conclue que c’est la demande qui peut créer le progrès, aussi sommes-nous invités à demander / exiger de l’ISR systématiquement, afin de pouvoir changer le monde.
Véronique Olivier