Connaissez-vous l’expression “l’arbre qui cache la forêt”?
Voilà bien une expression bio inspirée ! “L’arbre qui cache la forêt”, c’est le proverbe qu’on utilise lorsque l’on veut parler d’un détail qui empêche de voir l’ensemble d’un fait ou d’une situation. Cette expression est donc une très jolie métaphore qui rappelle que, dans la vie, il arrive parfois qu’un détail captive notre attention et nous empêche de voir quelque chose de plus vaste, de plus globale. Soit dit en passant… Ce détail aurait pu être volontairement mis en avant par quelqu’un ayant tout intérêt à ce qu’on n’en perçoive pas plus.
Vous me voyez venir pas vrai?
Et si, cette fameuse “Finance Responsable”: cette profession de foi, qui a pour ambition de remettre l’humain et la nature au centre de notre modèle d’analyse financière, ce n’était pas justement cet arbre? Alors que la finance dite “classique” serait la forêt? Essayons de creuser un peu cette piste…
D’un côté, la finance dite “classique”. L’activité bancaire en France représente 4,2 fois le Produit Intérieur Brut. Le bilan de BNP Paribas est à lui seul équivalant au PIB du pays. Au même moment, les encours globaux gérés par les sociétés de gestion de portefeuilles françaises se sont établis, à la fin de l’année 2018, à 3 674 milliards d’euros.
La finance responsable de son côté, c’est 704 fonds dits “durables” et 278 milliards d’euros sous gestion. Soit 7,5% des encours dans le pays. À première vue, une excellente nouvelle pour le climat. Pourtant derrière ce chiffre, on découvre une pléthore de méthodologies ESG (plus ou moins qualitatives), des fonds labellisés (ou non), des fonds thématiques, indiciels… Une forte diversité mais aussi un manque criant de transparence sur les diverses approches. Certains fonds n’ont parfois d’ESG, que le nom.
Nous ne sommes malheureusement pas témoins d’un basculement d’une économie à une autre… Mais simplement du développement d’un nouveau marché, avec son marketing bien à lui. Les attentes de la clientèle évoluent et les sociétés de gestion élargissent donc leurs offres pour répondre à ces nouveaux besoins. Sommes-nous en train de réduire les investissements “brown” pour les remplacer par des investissements “green”? Absolument pas, la majorité des acteurs sont simplement en train de déployer de nouveaux produits, tout en continuant de conserver leurs précédentes gammes.
Alors oui… “l’arbre qui cache la forêt”, c’est certainement vrai… “Un grain de sable dans l’océan” je dirais même… Si on continue dans les expressions d’inspiration naturelle.
C’est une façon de voir les choses. Mais après tout… Il y a mille et une façons de regarder le monde. Je voudrais donc vous en soumettre une autre.
A y regarder de plus près, plusieurs signaux faibles pourrait en effet nous faire penser qu’il se passe quelque chose d’étrange… Une petite révolution.
Le premier d’entre eux, c’est le poids des départs volontaires dans les établissements bancaires. La banque, qui pèse 2 % de l’emploi salarié en France, et qui a longtemps été associée à la sécurité de l’emploi et à des perspectives de carrière, est en passe de voir fuir de nombreux talents. Les démissions représentent désormais le principal motif pour quitter un établissement, loin devant les départs à la retraite, qui étaient encore largement majoritaires il y quelques années.
Au même moment, les rayons des librairies foisonnent de livres abordant le thème des “bullshit” job, on prend en exemple ces anciens cadres ayant tout plaqué pour devenir (au choix) boulanger/ébéniste/restaurateur/artisan et le dernier slogan de Cadre Emploi c’est “Démissionnez!”.
Le manque d’attractivité des établissements financiers peut aussi s’expliquer par le nombre croissant de plans sociaux ayant eu lieu ces dernières années. Pour exemple, rien qu’entre janvier et septembre 2019, plus de 44.000 suppressions de postes ont été annoncé par les banques européennes. L’automatisation permettant de remplacer certains “bullshit job”, tout en permettant de faire des économies sur la masse salariale.
Plus largement, le monde de la finance, de plus en plus décorrélé de l’économie réelle, peine à attirer de nouveaux profils. En témoigne par exemple le manifeste étudiant “pour un réveil écologique” paru en 2019 ainsi que les récentes études sur l’éthique professionnelle. En effet, le sens au travail est aujourd’hui une question centrale dans la carrière d’un salarié. Selon une étude Deloitte et Viadeo menée en 2018, 87% d’entre eux accordent de l’importance au sens de leur travail et plus de la moitié sont guidés par ce critère dans leur choix de métiers. Face à ces nouvelles attentes, le monde de la finance semble manquer d’attractivité…
Ces signaux faibles soulèvent inévitablement une question plus profonde; celle de la quête de sens des financiers eux-mêmes. Comment continuer de financer certaines activités, d’opérer sur le marché des matières premières… Dans une société toujours plus consciente des ravages du capitalisme moderne? Comment conjuguer son activité professionnelle et ses aspirations personnelles?
Revenons-en à notre histoire de forêt. La finance responsable, arbre cachant une réalité plus vaste… Celle d’une finance qu’il y a urgence à réinventer pour qu’elle corresponde mieux aux Hommes qui la font.
Et la forêt? Et si elle était donc cette majorité silencieuse, consciente de l’inadéquation entre ses aspirations et son métier. Et si, derrière ce concept presque “marketing” pour les dirigeants, il y avait aussi une immense aspiration à se transformer, une profonde prise de conscience des individus?
Et si finalement, cette finance responsable c’était effectivement un arbre, un petit arbre… Sous-estimé par le top management des grandes institutions et qui pourtant nous éclaire sur une réalité plus profonde, plus ancrée.
Alors peut-être que tout cela finalement, serait donc une très bonne nouvelle. Peut-être que la finance responsable n’est pas un élément marketing qui cache une finance toujours plus décorrélée de l’économie réelle… Mais plutôt l’écho d’une transformation qui s’opère dans la conscience de ceux qui font l’économie de marché. Signal fort d’une prise de conscience globale. Un éveil qui pourrait générer une transformation bien plus profonde.
Les meilleurs talents quittent le navire, une majorité silencieuse ne se reconnaît plus dans son métier et les résultats financiers ne sont pas au rendez-vous. Au même instant, les fonds d’investissement intégrant les critères ESG démontrent une meilleure résistance à la crise du COVID et des sous-performances moindres par rapport aux fonds classiques, les études s’empilent pour démontrer que la productivité est corrélée à la quête de sens et la perception de l’utilité de son métier.
Je suis peut-être très optimiste… Mais je vois dans ces signaux une opportunité pour sortir par le haut de la crise environnementale et sociale dans laquelle nous fonçons pour le moment… Tête baissée.
Je crois à une prise de conscience générale, je crois à la capacité des individus à questionner le système dans lequel ils exercent leur métier, je crois en la capacité des financiers de se remettre en question pour proposer des solutions concrètes à leurs pairs. Il est temps que nous prenions nos responsabilités. Chacun à notre niveau. Au-delà de la communication et du marketing, pour remettre la finance au service de l’Homme et de la Nature.